mercredi 15 janvier 2014

Entretien avec Hubert de Lapparent (1919)

A 94 ans, Hubert de Lapparent apparaît comme un témoin incontournable de l'âge d'or du Cinéma Français. Acteur de second plan au cinéma, enchaînant les silhouettes et les rôles aux côtés des plus grands, sous la houlette des meilleurs réalisateurs de son temps ; récurrent des séries télévisées des années 1970 et nom respecté du théâtre des années 1960, ce fils de grande famille passé par la Résistance et devenu comédien a accepté, avec la gentillesse qui caractérise les artistes les plus simples, d'évoquer avec nous son parcours, ses rencontres, ses souvenirs. S'il ne voit plus depuis plusieurs années, sa mémoire est restée intacte et c'est avec passion, à une vitesse prodigieuse, qu'il a bien voulu répondre à nos questions.



Hubert de Lapparent : Je suis né à Strasbourg, en 1919. Les Allemands avaient fait dans la ville une grande université et quand l'Alsace a été récupérée, les Français ont voulu créer l'équivalent. C'est Charléty qui a été nommé le premier recteur de Strasbourg et il a choisi pour les différents postes importants des scientifiques et des littéraires, dont mon père. Mon père était le fils du secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences et commençait à être reconnu dans son métier de minéralogiste. Ma mère est arrivée à Strasbourg deux mois avant ma naissance. J'ai été le premier garçon français né à Strasbourg : à l'époque on ne disait pas "garçon français" mais "vous êtes de l'intérieur". L'époque était très différente, nous n'étions pas des vrais alsaciens. On ne parlait pas la langue, cette langue que j'ai retrouvé de l'autre côté du Rhin pendant la guerre quand j'étais engagé dans la 1ère armée.

Julien Morvan : Vous avez donc grandi à Strasbourg dans les années 1920 et 1930. Aviez vous déjà des rêves artistiques ou étiez vous destiné à suivre une carrière comme votre père ?

HdL : Exactement. Nous étions destinés en principe à avoir des carrières scientifiques, nous étions ce que nous appellerions aujourd'hui des intellectuels. Mais ... j'étais paresseux ! (rires) Je ne faisais que les choses qui m'intéressaient, comme la littérature ou la chimie, dans lesquelles j'avais des prix. Mais je ratais mon baccalauréat sans cesse alors mes parents m'ont demandé ce que je voulais faire. J'avais fait du théâtre et de la peinture, mais comme les beaux-arts leur semblaient difficiles, ils m'ont inscrit au conservatoire de Strasbourg. Ce n'était pas une envie mais c'était une chose qui m'amusait.

Le Conservatoire de Strasbourg dans les années 1920.


JM : Alliez vous, à cette époque, au cinéma ou au théâtre ?

HdL : A Strasbourg on allait au cinéma naturellement mais nous n'allions pas beaucoup au théâtre. Mais j'ai eu l'occasion de voir deux ou trois pièces dont Volpone avec Charles Dullin et j'ai trouvé ça formidable. A Strasbourg, Charléty avait inventé les Cours Populaire de Langue Française où des amateurs montaient des pièces tous les ans pour que les Alsaciens apprennent le théâtre français et mon père a été un des metteurs en scène importants, parce qu'il aimait le théâtre. Alors moi j'ai commencé à jouer aux Cours Populaires. J'ai fait également du théâtre au lycée où les jésuites avaient créé un cours. Quand on m'a demandé ce que je savais faire, j'ai répondu : du théâtre et dessiner. Alors j'ai fait du théâtre !

JM : Votre passion pour la comédie, c'est avant tout le théâtre, plus que le cinéma et la télévision ...

HdL : De toute façon, tous les comédiens de mon époque, c'était le théâtre ! On faisait du cinéma ensuite. Alors aux débuts de la télévision, quand c'était en direct, ils appelaient uniquement les acteurs de théâtre capables de jouer du début jusqu'à la fin d'une pièce.

Charles Dullin dans Volpone fut un des premiers grands souvenirs de
théâtre de Hubert de Lapparent.
JM : Vous étiez jeune homme dans les années 1930. Étiez vous préoccupé par tous les grands événements internationaux ou nationaux, les bouleversements politiques ?

HdL : Nous étions plus intéressés par les mouvements littéraires, artistiques. Nous avons vécu la montée d'Hitler bien entendu mais nous n'étions pas politisés. Ils l'étaient beaucoup plus dans les classes populaires, moi j'appartenais aux classes dirigeantes. Il y avait des gens qui ça intéressait bien sûr ... vers 1936, je me souviens être allé avec mes jeunes frères à une réunion des jeunesses socialistes. Je les ai trouvé sympa ... mais ça m'a embêté ! Je n'étais inscris à rien.

JM : Je vous posais la question car, né en 1919, vous avez eu 20 ans l'année où s'est déclenchée la Seconde Guerre Mondiale.

HdL : 1939 n'est pas un bon souvenir. Mais j'étais au conservatoire, ça marchait bien et j'ai été engagé à Radio Luxembourg pour participer à quelques émissions. C'est comme ça que j'ai connu Blaise Cendrars d'ailleurs parce qu'ils avaient commencé à faire l'enregistrement d'une de ses œuvres qui s'appelait L'aurore.

JM : Vous nous aviez dit également avoir participé à la Résistance.

HdL : J'ai fait partie de l'armée secrète. J'habitais Albi à ce moment là parce que j'y avais fait un peu de minéralogie et j'avais rencontré des gens sympas de l'armée secrète qui m'avaient dit qu'ils viendraient me chercher si besoin. Et effectivement, un jour ils sont arrivés. Je suis rentré dans un groupe mobile républicain, des sortes de gendarmes passés à la Résistance [à ne pas confondre avec les GMR, force de répression de Vichy, ndlr]. C'était totalement apolitique. Quand la Libération est arrivée, je suis passé à la 1ère armée. C'était l'Allemagne que je voulais abattre.

JM : Avez vous, pendant cette période d'avant-guerre, puis d'Occupation, tissez des liens avec des gens qui ont pu compter dans votre métier d'acteur ?

HdL : Pas du tout. Encore qu'un moment, la Radio Française était réfugiée à Marseille et quelqu'un m'a dit que je devrais aller y faire un essai. La première émission s'est très mal passée car je me suis retrouvé entouré de gens beaucoup plus professionnels que moi et j'ai paniqué.


~ Débuts au cinéma et au théâtre ~




HdL : Il y a eu la fondation du Centre Dramatique de l'Est à Colmar. J'étais élève du directeur de l'époque, Roland Piétri, qui m'a emmené avec lui. Puis je suis revenu à Paris où j'ai joué Les bas-fonds de Gorki. Petit à petit, je me suis mis à faire des choses un peu plus importantes.

JM : Comment êtes vous arrivé dans la distribution de Manon (Clouzot, 1948) ? A-t-on été vous chercher ou était-ce une initiative personnelle ?

HdL : C'était moi ! Il se trouve que le producteur de Clouzot, Paul-Edmond Decharme, avait réalisé une traversée du Sahara dans un autobus où se trouvait mon père, qui partait faire de la géologie du côté de Tamanrasset. Il réalisa par la suite une interview de mon père, qui était devenu quelqu'un de connu, pour une radio, à Strasbourg. Au lendemain de la guerre, Decharme est devenu producteur de cinéma et j'ai demandé à mon père, qui était au soir de sa vie, une lettre de recommandation. J'y suis allé et Clouzot m'a dit qu'il connaissait mon père, qu'il avait assisté à plusieurs conférences et qu'il était un merveilleux conférencier ! On m'a donc trouvé un petit rôle dans Manon.

JM : D'emblée, vous avez donc eu un bon contact avec ce metteur en scène exigeant.

HdL : J'ai toujours eu un bon contact avec Henri-Georges Clouzot et pourtant il ne l'a pas eu avec beaucoup de gens. C'était un très grand cinéaste, un personnage très curieux. Dans La Vérité (1960), il y avait une atmosphère invraisemblable : il était charmant avec certains et odieux avec d'autres. Il a fait pleurer une actrice qui jouait un des témoins, il l'a emmerdé, emmerdé ... ça a été insensé !

JM : On a à peu près la même anecdote avec Brigitte Bardot ...

HdL : Oui, Brigitte Bardot était gentille, pas embêtante. Je n'avais pas de vrais rapports avec elle puisque je n'avais pas un grand rôle. Je faisais l'huissier, ce n'était pas grand chose mais j'étais là tous les jours. Je n'ai jamais eu à me plaindre même si c'était souvent difficile financièrement. J'en ai bavé à certains moments mais je n'avais, dans mon enfance, jamais su ce que c'était que de bouffer de la vache enragée. J'appartenais à des familles où on ne savait pas ce que c'était. Donc pour moi c'étaient des choses qui allaient passer ... il suffisait que j'aille mieux, que j'aie des rôles plus importants.

JM : Vous n'avez jamais été malheureux dans votre métier ?

HdL : Non. Comme tous les acteurs qui débutent, j'ai pris des paires de claques, comme tout le monde. Mais dans l'ensemble, quand je jouais ou je tournais, j'étais bien. Par exemple, quand j'ai tourné Gervaise (Clément, 1956), j'étais passé à la production avec mon agent - qui n'était pas épatant mais bon ... - et j'avais fait des essais de photos. Un jour, il m'appelle et me dit que j'ai rendez-vous avec René Clément, chez lui. Je savais que c'était L'Assommoir, je l'ai lu dans la nuit et quand je suis arrivé chez Clément, je connaissais mon personnage ! Et Clément m'a distribué !



JM : Comment s'est passé le tournage ?

HdL : Très bien ! A la fin du tournage, Clément et Jean Aurenche [ndlr : le scénariste du film] m'ont dit : "Vous passez très bien. Si on avait su, on aurait agrandi votre rôle !" Mais j'avais un contrat de dix semaines, je l'ai dépassé.

JM : Vous étiez à l'écran le mari de Jany Holt, qui avait connu une jolie carrière avant-guerre.

HdL : Oui, c'est ça. J'étais naturellement beaucoup plus jeune qu'elle mais ça s'est très bien passé avec elle. Elle ne tournait plus beaucoup à cette époque pourtant elle était sympa, je m'entendais très bien avec elle. Le tournage de Gervaise fut très agréable : je connaissais déjà François Périer, on s'était rencontré dans d'autres films. C'était une ambiance de copains. Je me rappelle d'un jour où Jacques Hilling dit à René Clément "Vous ne venez jamais nous voir au théâtre !" et Clément de lui répondre "Mais mon pauvre vieux, si je ne venais pas au théâtre, vous ne seriez pas là, Lapparent non plus !". Il ne venait pas dans les loges après, c'est tout.

JM : C'est intéressant de voir que Clément pouvait recruter des gens qu'il avait vu au théâtre. Aujourd'hui, un autre metteur en scène réputé, Bertrand Tavernier, affirme préférer voir des acteurs sur scène plutôt que de passer par des directeurs de castings pour ses films.

HdL : Oui ! D'ailleurs Tavernier me connaissait mais ne m'a jamais distribué. De même, il y avait un gars que je connaissais très bien, c'était Alain Resnais. Je l'ai vu souvent, c'est un curieux personnage. Il ne m'a jamais fait tourner en me disant "J'avais pas de rôles pour toi, tu es un personnage particulier avec une voix particulière."

JM : Est-ce que vous considérez que vous avez créé un personnage dans le cinéma français, avec des allures, intonations et signes particuliers ? Par exemple, Jacques Marin avait un vrai personnage la plupart du temps, souvent de français moyen, un peu râleur.

HdL : Non. Peu importe que le rôle soit sympathique ou antipathique, ce qui m'intéressait c'était de créer un personnage. J'aimais jouer ! Physiquement, vocalement, intellectuellement, je n'étais pas un acteur qui pouvait se choisir une formule. J'ai joué beaucoup de rôles, et différents. Et c'est quand même au théâtre et à la télévision que j'ai fait les choses les plus intéressantes. A la radio également, beaucoup de choses très intéressantes !

JM : De fait, vos rôles au cinéma étaient un peu secondaires ?

HdL : Oui, à part Gervaise, à part L'eau vive (Villiers, 1958) et le film de Jacques Becker où j'avais un rôle convenable [ndlr : Les aventures d'Arsène Lupin, 1957]. Le cinéma j'aimais bien ... et puis je gagnais bien ! C'était mieux payé au cinéma qu'à la télévision. J'ai tourné avec Becker, Delannoy, Renoir ...

JM : Et Jean-Paul Le Chanois, qui semblait vous apprécier puisque vous avez tourné plusieurs fois avec lui.

HdL : Il était très communiste et avait tourné un film au lendemain de la guerre sur le communisme pendant la guerre, pas très bon d'ailleurs. Je l'avais connu quand j'étais au Centre Dramatique de l'Est, on avait été le voir quand il préparait un film et on avait laissé une photo. J'ai été convoqué pour ... Sans laisser d'adresse (Le Chanois, 1952) où je jouais le rôle d'un balayeur à l'hôpital. Je n'ai jamais eu à me plaindre vous savez, même quand j'ai tourné avec Gabin. Parce que Gabin, c'était quand même une espèce de chieur.

JM : C'est un peu sa réputation aujourd'hui ...

HdL : Oui mais il fallait lui foutre la paix ! Il fallait être à l'heure, savoir son texte, pas l'embêter. A partir de ce moment là il devenait agréable. Dans En cas de malheur (Autant-Lara, 1958), j'avais un tout petit rôle mais Gabin s'est tourné vers Autant-Lara et lui a dit "Mais tu pourrais faire un gros plan de Lapparent !". Il a dit "Oui, d'accord". Fernandel, lui, ne voulait pas que l'on fasse des gros plans des autres.



JM : Des petits rôles mais qui restent parfois associés à des classiques du cinéma français ! Par exemple, tout le monde se souvient de votre apparition dans La traversée de Paris (Autant-Lara, 1956).

HdL : C'est Aurenche qui m'a imposé sur ce film ! Il a dit à Autant-Lara "On a découvert un acteur dans Gervaise, démerdes toi pour le distribuer dans La Traversée de Paris !". Il n'y avait pas grand chose mais j'ai été engagé pour jouer dans les résistants arrêtés. On me mettait toujours au premier rang ! Je sentais que Autant-Lara me surveillait ! Et un jour, il me dit "C'est à toi !". Il m'a expliqué la scène, j'ai joué et Gabin est resté, il était là pour la voir ! C'était une scène violente.

JM : Et Claude Autant-Lara vous a engagé de nouveau par la suite.

HdL : Oui. J'ai eu une bonne relation avec lui, c'était également un curieux personnage. Un homme de gauche passé à l'extrême droite. Moi, je m'entendais très bien avec lui mais je vais vous dire ... je me suis toujours très bien entendu avec tout le monde !


~ Une carrière auprès des plus grands ~



HdL : Je n'essayais pas d'emmerder les gens, je ne faisais pas le malin. Par exemple, la façon dont j'ai connu Renoir ... c'est invraisemblable. Je venais de tourner une petite scène dans un court-métrage et la production me dit qu'elle fait des essais pour Le carrosse d'or. On me présente à Renoir qui me donne un texte à apprendre. Au bout d'un moment, il me demande si je suis prêt et tourne la scène ... sauf qu'il la tourne vraiment, ce n'était pas un essai ! Hélas, la production française a fait faillite et tout la partie française a été faite par des anglais. Mais Renoir a quand même insisté pour que je double mon personnage. Il m'a engagé de nouveau après pour Elena et les hommes (1956). C'était un metteur en scène qui vous laissait aller en disant "C'est très bien mais on va peut-être en faire une autre". Il donnait des idées et décidait finalement aux rushes. Mais j'ai aussi tourné des nanars ... du genre Mon curé chez les pauvres !

JM : Justement, je voulais vous parler de ce film car il est réalisé par un grand metteur en scène d'avant-guerre, Henri Diamant-Berger.

HdL : On tournait en quinze jours. Le chef opérateur ne faisait pas d'effets de lumière mais tous les comédiens étaient bons. C'était un très bon metteur en scène, qui connaissait les comédiens. On allait très vite, c'est pour ça qu'il fallait des bons comédiens, pour ne pas multiplier les prises. Diamant-Berger était très connu dans le milieu, on savait que ça tenait le coup.

JM : Dans les années 1960, le cinéma français a produit des films sur l'Occupation et la Résistance, auxquels vous avez pu participer. Quel point de vue pouvait être le vôtre, vous qui aviez participé de près aux événements réels ?

HdL : Ça n'avait rien à voir avec mon expérience. Dans Le jour et l'heure (Clément, 1963), j'avais un petit rôle que Clément m'avait proposé. J'ai dit oui puisque c'était lui qui m'avait donné mon premier vrai rôle au cinéma. Mais le rôle n'était pas si facile que ça ! L'armée des ombres (Melville, 1969), c'était très différent. Je jouais le rôle d'un instituteur arrêté par les Allemands.

JM : Un cinéaste qui, comme Clouzot, a une réputation contrastée aujourd'hui.

HdL : Oui mais il n'était pas désagréable. Mais le film a été une escroquerie pour des gens comme moi car c'est tout juste si on nous a payé. On nous a dit "Ne vous inquiétez pas, Melville a un nouveau film !". Ce qu'on m'a proposé après était tellement inintéressant que j'ai refusé. Melville n'avait qu'à me distribuer un vrai rôle.

JM : La même année, vous retrouvez Autant-Lara pour Les patates (1969).

HdL : Oui. Nous avions tourné au mois d'août dans les Ardennes et le temps était glacial ! Mais nous avions un petit hôtel très agréable où on bouffait bien ! Surtout Pierre Perret et moi d'ailleurs (rires). Voyez, je n'ai aucun mauvais souvenir de tournage.

JM : Même quand les rôles ne vous intéressaient pas, tel Fantômas contre Scotland-Yard (1967) ?

HdL : Sur Fantômas, c'était trois fois rien mais Hunebelle voulait absolument m'avoir, alors on m'a très bien payé. Il m'avait vu dans d'autres films et il voulait Lapparent ! (rires) Avec Jean-Roger Caussimon, j'avais fait plein de choses très intéressantes, à la radio notamment, d'égal à égal.

JM : Vous jouez aussi face à Bourvil dans un petit rôle pour Trois enfants dans le désordre (Joannon, 1966).

HdL : Oui ... mais ça n'a pas marché avec Bourvil. Il m'emmerde moi, Bourvil. Pour moi, ce n'est pas un acteur.

JM : C'est intéressant d'avoir ce point de vue, assez rare. Vous devez être une des seules personnes en France à ne pas apprécier Bourvil ! (rires)



HdL : C'était un faux gentil. Je jouais en même temps Le goûter des généraux de Boris Vian au théâtre avec Paul Crochet. Je connaissais bien Paul, il était merveilleux. Je l'ai dit à Bourvil en lui proposant de venir nous voir puisqu'il venait de finir un film avec Paul, dans les Vosges [ndlrLes grandes gueules, Enrico 1965]. Il est venu dans la loge nous voir après la pièce pour parler avec Paul Crochet. Il n'a pas dit un seul mot sur la pièce ... Pas un mot ! D'ailleurs, il avait dit un jour "Molière m'emmerde". Moi je ne trouve pas que Bourvil soit un comédien formidable. C'était pas un acteur de théâtre mais un acteur d'opérette.

JM : La même année, vous retrouvez aussi un grand acteur que vous aimez, Bernard Blier, dans Un idiot à Paris (Korber, 1967).

HdL : Ah ... alors Bernard Blier, c'est tout à fait différent. Bernard Blier, c'était un sale con, une peau de vache. Il était méchant ... mais pas avec moi. J'ai fait une tournée avec lui, Le Nombril (de Jean Anouilh) en 1983. La plupart des acteurs ne voulait pas faire la tournée parce que Blier avait été odieux avec eux. C'était un rôle très important et il insista pour m'avoir. Je n'aimais pas trop les tournées et il a commencé à m'emmerder, comme tout le monde. Il était emmerdant comme la pluie au théâtre alors qu'au cinéma, ça s'était toujours très bien passé. Finalement, devant les menaces de la production, il a été gentil avec moi. Mais il était odieux avec les filles qui avaient des rôles secondaires. Je ne comprends pas que cet acteur, qui a fait une si belle carrière, était si méchant avec des gens comme ça. C'était un formidable comédien, c'était très agréable de jouer avec lui.

JM : J'aimerais revenir sur L'eau vive où vous trouvez un rôle important.

HdL : Je me souviens que ce film avait obtenu un Golden Globe [ndlr : Golden Globe du meilleur film en langue étrangère] ! J'ai tourné trois mois dans ce film, c'était un très beau film. J'étais prévu pour un petit rôle de notaire et lorsque je me suis rendu aux essais, Jean Giono, le scénariste et dialoguiste, qui venait de voir Gervaise, a insisté pour me faire jouer un rôle plus important. Je n'ai pas été copain avec le metteur en scène du film, il m'en a toujours voulu que je sois imposé par Giono.

JM : Finalement, Gervaise a été un tremplin important dans votre carrière.

HdL : Il m'a permis de faire d'autres films ! Je me souviens de Suzy Delair ... j'étais juste à côté d'elle dans une scène et de l'autre côté, il y avait Maria Schell. Or ... elles se détestaient ! Elles me prenaient à témoin, j'étais entre les deux.

JM : Leur animosité a pu servir le film alors. Car elles se détestent à l'écran !

HdL : Mais Clément l'avait prise un peu pour ça ! Dans la scène du lavoir, elles se tapaient vraiment dessus, elles se détestaient. Suzy Delair, c'est une très bonne comédienne. C'était un curieux personnage vous savez, elle était mal avec toutes les habilleuses, avec tout le monde. Mais avec moi et les autres comédiens, elle était très bien. En général, les bons hommes, elle était bien avec eux !



~ Une autre carrière et la postérité ~

HdL : Ça m'épate que vous m'appeliez aujourd'hui, car je n'ai rien fait pour cette reconnaissance.

JM : Je crois que la gentillesse avec laquelle vous nous parlez aujourd'hui se ressent dans vos rôles. J'ai 25 ans et je vous connais depuis longtemps. Et je ne suis pas le seul. Vous restez aujourd'hui un comédien populaire et très apprécié des cinéphiles.

HdL : Le public qui vient au théâtre, on ne le connait pas. Les gens n'osent pas trop venir nous voir à la fin de la pièce. Un peu plus dans les festivals, on rencontre les gens dans la rue, dans la journée. Mais c'est à peu près tout ...

JM : Vous avez pris votre retraite théâtrale et télévisée à la fin des années 1980. Est-ce que le manque s'est fait sentir ou étiez vous heureux d'accéder à une retraite méritée ?

HdL : Ça m'a manqué mais j'ai pu continuer à faire de la peinture et de la sculpture, je me suis complètement investi dans ces autres passions. J'ai fait beaucoup de sculpture, j'ai exposé dans les grands salons d'art contemporain, Réalité Nouvelle notamment. J'ai travaillé avec une galerie, en Belgique, au Luxembourg ; je n'ai jamais arrêté de travailler. Ma dernière sculpture date de 2006 et ma dernière exposition de 2003. A partir du moment où j'ai vraiment perdu la vue, j'ai stoppé. (Un silence) Je dois dire que si je fais le bilan de ma vie, toutes les époque j'ai traversé, je suis quand même un chanceux de la vie ! Je vous remercie de votre démarche, je n'imaginais que j'avais pu laisser un souvenir comme ça. Vous remercierez de ma part tous les gens qui pensent encore à moi.

JM : Vous n'avez pas fait tout ça pour rien, je vous l'assure.

HdL : C'est ça qui est important je pense. Quand on vit, il faut, autant que possible, laisser quelque chose.

Lundi 13 janvier 2014, Paris

4 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai pris beaucoup de plaisir à lire cet entretien. Je me suis pris d'affection pour cet acteur très attachant depuis quelques années. C'est avec un plaisir non dissimulé que j'aie lu cet entretien passionnant. Bravo à Mr Morvan pour sa démarche. Continuez ainsi

Laurent Scof

Anonyme a dit…

Merci également et plaisir d'entendre ce vieil acteur et ses anecdotes que seuls les gens du cinéma peuvent connaître. Félicitations pour votre travail.

magisterpellius@gmail.com>

dolores garcia a dit…

merci pour cette interview , j'aime beaucoup cet acteur , il a répondu aux questions avec gentillesse et beaucoup de précisions

Anonyme a dit…

Dites à M. de LAPPARENT que je l'apprécie beaucoup et que j'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir cette interview très intéressant sur le cinéma et les acteurs. Je ne l'ai vu qu'au cinéma mais je l'ai toujours apprécié. Il a des admiratrices. Dites le lui ainsi que mon admiration pour son role dans la résistance. C'est un homme talentueux et modeste.
Pia

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